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Texte de cadrage du colloque
Évaluation et didactiques, évaluation et formation des enseignants.Des couples maudits ?
Selon Stufflebeam (1981), évaluer c’est « recueillir de l’information sur laquelle on va porter un jugement afin de prendre une décision ». D’après cette acception très large, on ne voit pas très bien en quoi didactique et évaluation seraient des couples maudits. En effet, n’est-il pas utile, pour un didacticien, de prendre de l’information sur le raisonnement des apprenants afin de mettre en lumière d’éventuelles difficultés d’apprentissage ? Puis, sur cette base, de proposer des activités didactiques ciblées ? Par ailleurs, n’est-il pas pertinent, pour un évaluateur donné, de s’assurer que l’information qu’il va recueillir porte bien sur des aspects disciplinaires s’ancrant dans une approche didactique ? Théoriquement, c’est indubitablement le cas. Pourtant, en pratique, didactique et évaluation ont tardé à trouver des synergies vertueuses et se sont plutôt développées de manière indépendante. Perrenoud (1991), cité par Vantourout (2021), écrit à ce sujet : « les enseignants soucieux de bien évaluer sont pris entre deux modèles, un modèle didactique séduisant, mais qui ne dit pas grand-chose de l’évaluation, et un modèle d’évaluation transdisciplinaire qui s’est développé indépendamment de la didactique et du curriculum spécifique d’une discipline (p. 105) ». De fait, l’évaluation est un concept qui a été théorisé bien avant celui de la didactique. Et lorsque la didactique s’est constituée en champ de recherche, le modèle d’évaluation dominant était celui de la psychométrie. Pour les tenants de ce modèle, de manière schématique, la qualité de l’instrument de mesure a autant d’importance, si pas plus, que le construit que l’on cherche à mesurer. Évidemment, ce propos est caricatural car la validité de contenu et de construit constituent des piliers de la psychométrie, mais disons que les psychométriciens pouvaient se contenter d’une acception « en surface » des contenus et construits si cela garantissait une meilleure qualité psychométrique qu’ils trouvaient le plus souvent dans une forme de standardisation de l’évaluation. Les didacticiens quant à eux, adoptent une approche résolument inverse. La primauté va à l’analyse fine des processus disciplinaires et didactiques en jeu, la notion de mesure étant, dans ce contexte, plutôt secondaire. On comprend, dès lors, en quoi les deux approches étaient peu conciliables. En évoquant une perspective historique nous laissons entendre que la situation a changé et qu’il y a plus de raisons aujourd’hui d’entreprendre des synergies entre ces deux concepts. C’est effectivement partiellement le cas. Notre raisonnement s’appuie sur l’avènement d’autres modèles d’évaluation qui font plus facilement la place à une visée didactique. C’est le cas par exemple de l’Assessment for learning (AFL) (Black, 1986). Selon les principes de l’AFL, l’idée est d’évaluer les progrès des étudiants, afin de leur donner un feedback et de décider les pas suivants à franchir, tant en termes d’enseignements que d’apprentissages. Il ne s’agit pas ici de certifier des apprentissages, mais bien d’améliorer ces derniers (Bennett, 2011 ; Black & Wiliam, 1998). Ce concept, tout comme celui de formative assessment (par exemple Leahy et al., 2005), ou encore, du côté francophone ceux d’évaluation formative dans sa perspective cognitive (Allal, 2007), de l’évaluation-accompagnement (De Ketele, 2016), ou encore les travaux sur la référentialisation (Mottier Lopez & Dechamboux, 2019) permettent de réunifier, en quelque sorte, évaluation et apprentissage en un seul mouvement, entrouvrant la porte à une conception de l’évaluation prenant en compte et intégrant les objets didactiques. Est-ce à dire que didactique et évaluation sont aujourd’hui réconciliées ? Pas totalement, tant s’en faut. D’une part, plusieurs études montrent que l’évaluation formative ou l’AFL percolent assez peu dans les pratiques des enseignants. À ce propos, il faut signaler que, si les modèles d’évaluation évoluent, ils ne se supplantent pas mais se juxtaposent : ils coexistent en effet au sein des établissements scolaires rendant peu lisibles le concept d’évaluation et les vertus des modèles émergents (Detroz et al., 2017). Par ailleurs, des recherches en didactique mettent en évidence les idéologies sous-jacentes aux modèles d’évaluation et les effets pervers des évaluations standardisées certificatives, en particulier dans le domaine des langues (Shohamy, 2001 ; McNamara & Roever, 2006 ; Huver, 2014 & 2018). Notons toutefois quelques signes encourageants. Au constat de Fagnant qui, en 2017, signalait que les concepts d’évaluation et de didactique apparaissaient très peu de manière concomitante dans les revues scientifiques spécialisées avant 2015, Vantourout (2021), répond — en utilisant la même méthodologie entre 2015 et 2019 — que le champ de recherche spécifique à la didactique et à l’évaluation semble très récemment produire un nombre d’articles croissant. Parmi les facteurs expliquant cette accélération, il épingle principalement l’émergence au sein de l’association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE-Europe) du réseau thématique EVADIDA (pour Évaluation et Didactique). En effet, l’ADMEE s’est saisie de cet axe de recherche amplifiant, sans doute, un mouvement relatif aux recherches francophones dans ce domaine spécifique. Nous en voulons pour preuve la thématique du colloque de 2015, déjà à Liège, dont l’un des axes était explicitement dédié aux rapports entre didactique et évaluation[1]. Aujourd’hui plusieurs auteurs ont fait du rapport entre évaluation et didactique leur sujet privilégié de recherche ouvrant la voie à des synergies fécondes. C’est ainsi que s’est structuré, par exemple, le concept de validité didactique (Bodin & Grapin, 2018 ; Grugeon-Allys, 2016 ; Demonty et al., 2015 ; Sayac, 2017 ; Vantourout, 2021) qui vise à étendre cette notion issue de la psychométrie à la réflexion didactique. C’est également dans cette perspective que sont esquissées des approches didactiques de l’évaluation comme celle proposée par Sayac en 2017. Aujourd’hui, s’il reste des antagonismes entre évaluation et didactique, c’est selon nous essentiellement lié à ce que nous considérons comme un déficit de formation des différents acteurs dans le domaine de l’évaluation.
Évaluation et Formation, un autre couple maudit ? En effet, bien souvent, l’évaluation est le parent pauvre de la formation initiale des enseignants (Béland, Detroz & Dione, 2018). Et lorsque celle-ci est prise en charge dans la formation, ce sont les modèles transdisciplinaires, généralistes et psychométriques qui se taillent la part la plus importante. Or, ce type d’approche peine alors à faire dialoguer didactique et évaluation, tout en risquant de renforcer les croyances initiales des futurs enseignants que l’évaluation est avant tout certificative et utilisée à des fins de contrôles ou de certification. Par ailleurs, il est également possible que la formation initiale des enseignants, d’un point de vue méthodologique, se soit historiquement surtout focalisée sur la présentation des techniques, procédés et stratégies d’enseignement propres à une discipline. Dans un tel contexte – dans lequel, rappelons-le, évaluation et didactique sont en tension – on ne s’étonnera pas, dès lors, que le volet évaluation ait été réduit, la plupart du temps, à un relativement petit appendice de cette formation initiale. À ce sujet, toutefois, nous assistons peut-être également à un changement de paradigme. L’avènement de l’approche par compétences et de l’apprentissage par tâches complexes a rendu l’acte d’évaluation beaucoup plus difficile que lorsqu’il était focalisé sur la validation des savoirs. Les didacticiens et formateurs ont dû apprivoiser cette nouvelle réalité d’autant plus qu’elle apparaissait clairement dans les prescrits légaux tels que les programmes, par exemple. Peut-être est-il temps que les spécialistes de l’évaluation et les spécialistes des didactiques disciplinaires amplifient et structurent un mouvement ayant pour vocation d’interféconder leurs champs respectifs en vue de construire, ensemble, des dynamiques permettant l’émergence d’une véritable didactique de l’évaluation. Le monde de l’évaluation n’y serait pas réfractaire : c’était la conclusion d’une table ronde de l’ADMEE Canada qui s’est tenue en 2018 sur le sujet (Béland, Detroz, Dione, 2018).
Le colloque se structurera autour des axes thématiques suivants : - Historicité des relations entre Didactique et Évaluation - Enjeux épistémologiques des modèles évaluatifs pour les didactiques - Enjeux épistémologiques des modèles didactiques pour les évaluateurs - Évaluation et demandes institutionnelles/politiques éducatives - Évaluation et Formation des enseignants - Vécus et pratiques enseignantes de l’évaluation - Évaluation de performances complexes et didactiques - Prise en compte des didactiques dans les études à large échelle - Évaluation standardisées et aspects didactiques - Dispositifs innovants d’enseignement de l’évaluation en formation initiale des enseignants
[1] Voir Detroz, Crahay & Fagnant (2017) pour l’ouvrage issu du colloque dont l’un des axes porte sur cette thématique spécifique. |
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